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Éveil aux langues E5 – Ha'amātau i te reo rau
L’écriture du tahitien
Les cultures océaniennes sont dites de tradition orale. De fait, il n’existait pas dans le Pacifique insulaire de traditions d’écriture alphabétique avant l’arrivée des Occidentaux. L’écrit a été introduit aux îles de la Société par les missionnaires protestants de la London Missionary Society au début du XIXe siècle. Implantée sur l’île de Tahiti à partir de 1797, il faudra à la mission, outre les péripéties de l’installation, un temps laborieux d’apprentissage de la langue et de tâtonnements pour sa codification, avant qu’un catéchisme en tahitien, le premier texte reposant sur le principe alphabétique jamais écrit dans une langue océanienne, ne soit présenté aux habitants de la baie de Matavai en 1801 (Nicole, 1988, p. 76).
Le ralliement de Pomare II à la religion nouvelle entraîna la conversion massive de ses sujets entre 1813 et 1816, l’intensification de l’alphabétisation en tahitien et la diffusion de textes évangéliques avec l’installation d’une imprimerie missionnaire à Moorea en 1817 sous la houlette de William Ellis. Ce dernier s’enthousiasme alors de l’engouement des habitants, jeunes et moins jeunes, pour l’écrit (1972 [1853], p. 80) :
« Non seulement les enfants et les jeunes gens ont appris à lire, à écrire et à compter mais aussi à apprendre leurs leçons par cœur, avec autant de facilité et de rapidité que les enfants de leur âge dans tout autre pays. En ce qui concerne l’instruction des adultes, voire mêmes des personnes âgées, instruction qui en Angleterre, où il y a tant de facilités, est une entreprise si difficile qu’il faut employer les meilleurs moyens et une inlassable application, on y est parvenu ici avec une facilité relative. Des quantités de gens qui avaient dépassé trente ou quarante ans lorsqu’ils 5 commencèrent à apprendre l’alphabet, apprirent en douze mois à lire couramment le Nouveau Testament, et quelques-uns purent très rapidement en réciter par cœur de grandes parties et même des livres entiers. »
Les résultats de cette première alphabétisation vernaculaire furent remarquables puisqu’en 1823, le commandant Duperrey écrivait au ministre de la Marine et des Colonies : « Tous les naturels de Tahiti savent lire et écrire » (cité par Nicole, 1988, p. 1).
Outre la détermination des missionnaires anglais et l’engouement des insulaires, certains facteurs expliquent la rapidité de la diffusion de cette compétence scripturale. D’abord, elle concernait une population réduite. En raison de l’effondrement démographique lié aux épidémies, Tahiti comptait à cette époque environ neuf milles âmes (Newbury, 1980, p. 128). Mais ce sont aussi les propriétés internes de la langue tahitienne et de son écriture qui expliquent ce succès. Le système phonologique du tahitien est l’un des plus réduit au monde : il comporte 9 consonnes et 5 voyelles, auxquelles s’ajoute la quantité vocalique qui est distinctive, soit 15 phonèmes (à titre de comparaison, le français standard comporte 36 phonèmes). Les phonèmes du tahitien sont transcrits au moyen de 13 lettres latines (contre 24 en français) auxquelles s’ajoutent, dans l’orthographe contemporaine préconisée par l’Académie tahitienne, l’apostrophe pour l’occlusive glottale et le macron pour la longueur vocalique. Il n’y a pas de succession de consonnes (contrairement au français, ex. [sk] dans masque, [rbr] dans arbre), toutes les syllabes sont ouvertes (elles se terminent par une voyelle). Tous les phonèmes sont représentés par une seule lettre ; il n’y a pas de digramme ou de trigramme (sons représentés par l’association de deux ou de trois lettres ; ex. en français, ou pour le son [o]). Les correspondances graphèmes-phonèmes sont biunivoques : un phonème correspond à une et une seule lettre, et réciproquement (ex. en tahitien, le son [o] est toujours représenté par ). Par ailleurs, l’écriture du tahitien ne comporte ni lettres étymologiques ou historique (ex. ph, th, ch venant du grec ancien en français), ni morphogrammes lexicaux (ex. t dans lait en français), ni morphogrammes grammaticaux (ex. en français, s et nt dans « les poules couvent »). Tout ce qui s’écrit se prononce, et réciproquement. C’est un système d’écriture « transparent » et cette transparence orthographique en facilite grandement l’apprentissage (Dehaene, 2007).
Références
Dehaene, S., 2007, Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob.
Ellis, W., 1972 [1853], À la recherche de la Polynésie d’autrefois, Paris, Société des Océanistes.
Newbury C., 1980, Tahiti Nui, Change and Survival in French Polynesia, 1767-1945, Honolulu, The University Press of Hawai'i.
Nicole J., Au pied de l’écriture, Histoire de la traduction de la Bible en tahitien, Papeete, Haere pō no Tahiti.
Documents
Extraits du livre de lecture « E parau haapii i faahohoahia ei tauturu i te tamarii i te taio i te parau »